En cette fin d’année, l’actualité locale du département des Pyrénées Orientales tourne autour d’un évènement encore plus attendu que le Père Noël: la pluie est de retour. Après 3 ans de sécheresse qui nous ont poussé à mettre en place plusieurs restrictions dans l’usage de l’eau, et qui ont mis à mal un grand nombre d’exploitations agricoles, il a plu entre jeudi 25 et samedi 27 décembre 2025 assez d’eau pour mettre le département en vigilance orange inondation.
Et maintenant que l’épisode pluvieux est passé, tous les regards se portent sur les 2 grands barrages en amont de la plaine du Roussillon: le barrage de Vinça, sur la rivière Têt, et la barrage de l’Agly, sur la rivière Agly. Après toute cette pluie tombée, on s’attendrait à les retrouver pleins, pour enfin sortir de cette terrible sécheresse, non? Et là, stupeur, les barrages restent désespérément vides…
Après la sidération, viens l’incompréhension, pourquoi ne pas avoir profité de cet épisode pluvieux pour remplir les barrages? On va encore nous parler de sécheresse après avoir jeter toute cette eau qu’on aurait pu garder? A tout les coups c’est encore à cause d’une décision prise par des bureaucrates qui connaissent rien à la réalité du terrain!
En fait, c’est plus compliqué que ça, et je vous propose qu’on regarde attentivement les faits, afin qu’on comprenne ce qu’il se passe. Les deux barrages en question ont un fonctionnement très différent, faisons donc du cas par cas:
Le barrage de l’Agly
Le barrage de l’Agly (parfois incorrectement appelé barrage de Caramany) est situé sur la commune de Cassagnes, c’est l’unique barrage de la rivière Agly, l’une des 3 principales rivières du département avec la Têt et le Tech. Ce barrage mis en eau en 1996 est l’un des derniers barrages à avoir été construit en France, c’est un barrage poids qui a de multiples usages, tels que l’irrigation des culture ou la production d’électricité, mais sa principale fonction est de permettre le soutien d’étiage (c’est à dire le maintiens d’un débit d’eau constant et nécessaire à la sortie du barrage) et l’écrêtement des crues (protection contre les inondations).
Suite à l’épisode pluvieux de cette fin d’année 2025, le barrage indique un niveau de remplissage de 23 millions de m3, pour une capacité de 19 millions de m3, c’est à dire qu’il est actuellement plein à 120% de sa capacité. Le titre de cet article est « Pourquoi les barrages restent vides », et c’est une question difficile à répondre car dans les faits, on voit que c’est faux, le barrage est plein, il est d’ailleurs tellement plein qu’on va devoir laisser s’écouler 4 millions de mètres cubes pour lui permettre d’atteindre sa capacité maximale, c’est pour ça que pendant quelques jours après la pluie, un grand courant d’eau continue à se déverser de l’autre coté.

La raison pour laquelle on entend dire qu’il est vide viens d’une incompréhension dans ce qu’est la limite maximale de remplissage du barrage, on va clarifier tout ça, il existe en réalité 3 niveau de remplissage:
- Capacité maximale à 19 Mm3: C’est le niveau de remplissage maximal du barrage entre octobre et mars, afin de permettre l’écrêtement des crues. La vanne principale du barrage est ouverte.
- Capacité maximale à 27 Mm3: C’est le niveau de remplissage maximal du barrage entre avril et septembre, afin de permettre l’irrigation et l’écrêtement des crues. La vanne principale du barrage est fermée.
- Capacité maximale à 51 Mm3: C’est le niveau de remplissage qu’on peut atteindre avant que le barrage ne déborde. C’est une limite quasiment impossible à atteindre, elle permet juste de dire que le barrage est capable de résister y compris face à des crues apocalyptiques. Il n’y a aucune vanne permettant le remplissage de ce volume (il y a une évacuation constante de tout surplus d’eau au dessus de 27 Mm3 de remplissage).
En effet, l’erreur commise par beaucoup de monde est de confondre les périodes des niveaux de remplissages. Actuellement nous sommes dans la période où la vanne est ouverte, ce qui met la limite de remplissage à 19 Mm3, donc on peut dire que le barrage est plein, même si en été cette limite est plus importante. Une fois cette première confusion levée, on peut se poser une nouvelle question: si techniquement il est possible de fermer la vanne, on pourrait rehausser la limite et quand même garder de l’eau? Pourquoi on ne le fait pas?
Parce qu’en réalité, techniquement, le barrage a été conçu pour assurer l’écrêtement des crues, c’est à dire la protection contre les inondations des villages en aval. Et il a été calculé qu’il fallait une limite haute à 19 Mm3 pour assurer correctement cette fonction. Si on détourne l’ouvrage de la fonction pour laquelle il a été conçu, on prend le risque de le rendre moins efficace, et vu la gravité de ce que représente le risque d’inondation (y compris en période de sécheresse), personne n’est prêt à prendre ce risque. La limité rehaussée à 27 Mm3 en été est là pour assurer les besoins en irrigation, et c’est une limite acceptable car durant cette période, les crues sont moins intenses, et ce niveau de remplissage permet de les gérer malgré tout. Grace à cette conception brillante, le barrage est capable d’assurer l’irrigation et la protection des crues tout au long de l’année.
Il important de rappeler que les 19 Mm3 actuellement stockés sont intégralement exploitables, et c’est suffisant pour assurer une année d’irrigation. Nous étions en situation de sécheresse en 2023 et 2024 car à la même période en décembre 2022, le barrage ne contenait que 8 Mm3, et l’absence de pluie durant toute l’année 2023 a conduit à ce qu’il ne dépasse jamais 15 Mm3, y compris au début de l’été où la limite est bien plus importante. Nous démarrerons donc l’année 2026 avec beaucoup plus de sérénité par rapport aux années précédentes, grâce à ces pluies et grâce au barrage.

Le barrage de Vinça
La Têt est la principale rivière du département, plusieurs ouvrages hydroélectriques y sont présents depuis sa source dans les montagnes de Cerdagne, et jusqu’au barrage de Vinça à l’entrée de la plaine. Le barrage a été mis en eau en 1978 et il assure une double fonction de protection contre les inondations et de soutien d’étiage. Il ne produit pas d’électricité.
Après cette intense période de pluie, le barrage est effectivement vide, et ça soulève des questions, mais là aussi ça viens d’une incompréhension dans le fonctionnement du barrage. C’est un fonctionnement très différent de celui de l’Agly, dans le cas de Vinça la fonction d’écrêtement des crues ne peut être assurée que s’il est suffisamment vide. Il se vide donc systématiquement tous les ans entre juillet et septembre (parce que les agriculteurs l’utilisent l’eau) puis reste vide entre octobre et décembre. ensuite entre janvier et juin, il va suivre un rythme de remplissage précis qui permet à la fois de stocker l’eau de la fonte des neiges en prévision de l’été et aussi de gérer les éventuelles crues printanières.

Dis autrement le barrage de Vinça est un très mauvais indicateur de sécheresse, car peu importe l’année et peu importe la sécheresse, il sera toujours vide au début de l’hiver et plein au début de l’été. Mais alors, pourquoi on parle de sécheresse et de crues si ça ne change rien sur le remplissage du barrage? C’est parce que contrairement à l’Agly qui ne dispose que d’un seul barrage, sur la Têt celui de Vinça n’est pas seul. Loin en amont, on trouve le barrage des Bouillouses, idéalement placé proche de la source de la rivière, ce qui lui donne un super-pouvoir: Le barrages des Bouillouses permet de contrôler le débit de toute la rivière.
En utilisant de façon complémentaire les Bouillouses et Vinça, on peut répondre à tous les besoins, que ça soit la protection contre les inondations, contre les incendies, l’irrigation des cultures, la production d’électricité, la préservation de la biodiversité, et même la production de neige de culture. Il ne faut donc pas voir le barrage de Vinça comme une structure unique qui peut tout faire, il est juste une partie d’un complexe hydraulique qui traverse tout le département.
Évidement, on peut trouver dommage qu’avec ce fonctionnement, on soit obligés de laisser partir de l’eau après Vinça, alors qu’on en a tant besoin, et qu’il faudrait qu’on trouve un moyen pour le pas perdre toute cette eau. C’est effectivement une bonne idée, on pourrait construire une retenue d’eau pensée spécifiquement pour stockée toute l’eau que Vinça ne peut pas garder. Et en réalité, on l’a déjà fait. La dernière pièce du puzzle dans ce vaste complexe hydraulique est la retenue de Villeneuve de la Raho, qui a été spécialement conçue en même temps que la barrage de Vinça pour justement récupérer tout ce surplus d’eau par le canal de Perpignan. L’eau qui sort de Vinça n’est donc pas « jetée », elle est en partie redirigée vers la retenue de Villeneuve de la Raho et on la conserve quand même, dans une structure spécifiquement pensée pour ça (et il existe d’autres petites retenues le long de la Têt qui assurent une partie du stockage et qui nous ont bien aidé pendant la sécheresse).

Pour en apprendre plus sur les barrages
Les barrages des Pyrénées Orientales ont un fonctionnement complexe, et répondent à plusieurs besoins sur le territoire, ils sont malheureusement mal compris, et on reproche à leurs gestionnaires des décisions qui sont en fait parfaitement acceptables quand on s’y intéresse sérieusement. Le territoire gagnerait à avoir une population mieux informée des enjeux autour de l’eau, surtout faces aux risques de sécheresses et d’inondations, qui restent bien présents localement.
Dans ce but, notre association Energ’Ethiques 66 propose des activités de culture scientifique, à destination des enfants mais aussi des adultes, pour mieux comprendre les enjeux liés à l’eau. Sur l’Agly, nous organisons des visites du barrage à destination des écoles et collèges avec le soutien du Conseil Départemental 66, parfois auprès d’adultes aussi, nous avions par exemple animé une journée de découverte le 1 octobre 2023.
Sur la Têt, nous travaillons avec la TRAM66 et la SHEM pour faire découvrir le fonctionnement du bassin versant et les ouvrages hydrauliques qui le composent. Nous continuerons à faire ces actions en 2026, vous pouvez vous abonner à notre liste d’information pour être prévenus des prochains évènements.
Romain Llapasset, Animateur Energ’Ethiques 66
